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Le Blogueur devant le Seuil
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7 juillet 2010

Comme dans un vieux rock'n'roll

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Il y a quelques mois, avant ma pause d'écriture, j'avais participé à l'appel à texte du café castor, sur le thème du rock et de l'écriture. Je n'ai ni gagné les fringues de rockeur (j'ai déjà assez de guenilles étranges et psychotroniques dans ma garde-robe) ni la guitare (qui ne m'aurait pas servi à grand chose). Mais j'ai été sélectionné pour le final en compagnie de belles plumes électriques.

http://sites.google.com/site/mycafecastor/

Voici donc ma contribution.

Personne ne l’emportera

A.

Impossible de dormir avec leur foutu concert !

Un raffut de tous les diables. Les mecs fumaient leur clope dehors et parlaient forts, rigolaient ou balançaient des canettes sur le bitume.

J’ai vraiment pas été bien inspiré de choisir ce Formule1, précisément. Sans compter que quelques uns risquent sans doute de se radiner ici pour continuer la fête et me massacrer les oreilles.

Et moi qui avait choisi cet hôtel automatique parce qu’il était loin du centre-ville, perdu en pleine zone artisanale et commerciale, entre des dizaines de soldeurs et cette MJC blafard et bruyante.

Encore un mauvais calcul. Un de plus dans cette tournée foireuse. De la pure prospection commerciale, à l’arrache. Des rencards pris par des stagiaires au téléphone et moi, balancé sur le terrain. La jungle bretonne. Grise et pluvieuse. Tout ça parce que j’y avais passé une bonne partie de ma jeunesse.

Pas loin de 20 ans. Déjà.

B.

Un coup rapide, dans les coulisses.

Le roadie était salement en manque. Il avait donc été un rien brutal mais bref. Un hollandais massif, la trentaine, blouson de cuir élimé et T-shirt gris, délavé. Un peu crasseux aussi. Elle s’en était rendu compte juste après, en détaillant ses ongles. Retenir un réflexe nauséeux et se forcer à sourire.

C’était bon pour l’entrée gratos et un accès backstage. De quoi assister aux concerts dans des conditions idéales. Et elle parviendrait sans doute à gratter quelques verres et clopes. Elle se faufila dans le couloir. Grande brune à la frange de pin-up, en robe blanche ornée de petites têtes de mort rouges qui, de loin, ressemblaient à de simples points.

Elle savait qu’elle accusait son âge mais elle avait toujours un certain succès. Pas seulement avec les roadies à l’hygiène douteuse. La mode était aux femmes mûres. Aux MILF comme on disait maintenant.

Et Bunny continuait à en jeter avec son corps de sportive, ses tenues provocantes, ses chaussures à talons et son regard aigue-marine. Pas encore cuite, la Bunny !

A.

Donc, j’étais sorti. J’avais laissé ma piaule minuscule et je m’étais approché de la MJC. En costard mais sans cravate. J’avais pas pris de change. Pas de cuir, pas de pull camionneur, pas de T-shirt de métal, comme dans le temps. De toute façon, je n’arrivais plus à rentrer mon bide dans ma vieille panoplie.

Quelques jeunes me dévisagèrent mais sans plus. J’étais pas le seul quadra. D’autres reliques s’en grillaient une. Des hommes et un couple. Lui avait presque la cinquantaine, un grand homme sec. Sa femme était assez massive et enrobée. Habillée en gothique.

Je suis entré et j’ai acheté une place. 5 €uros. Pas cher. Il y avait quelques affiches à l’entrée. Un groupe inconnu pour ma part. Datura Nigthmares, présenté comme du Dark Electro Métal et Slicky Bones, du rock psycho. Putain ! Je ne savais pas que ça existait encore ! C’était un de mes groupes préférés.

J’ai tracé à travers la foule juvénile et suis entré dans la salle principale. Ok, ils avaient baissé les lumières, mis des éclairages agressifs et posé des affiches de films de série B un peu partout sur les murs, mais ça ressemblait toujours à une MJC. Un mélange de fonctionnel et de matériaux au rabais. Les tables en contreplaqué avaient été dissimulées derrière des tentures sombres mais étaient toujours apparentes.

Le bar était à l’avenant. Un comptoir en formica, tenu par une bande d’ados encadrés par un vieux biker qui faisait voler des gobelets du bout de ses épaisses paluches. Le premier groupe était en train de boucler son set. Des gars maigres, cheveux longs, visages maquillés de blanc et noir. Comme des métalleux de l’enfer. Des gueulantes saturées, de la dance passée à la hache. Pas du tout mon truc mais une belle énergie tout de même !

Je me posai directement au bar et commandai un demi en effectuant le vieux geste magique de la pompe fantôme. Bon c’était une canette mais elle était fraîche. La première gorgée m’arracha un grognement satisfait.

B.

Elle avait tracé, les mains serrées sur son grand sac noir en écailles pailletées. Accès direct. Grâce au roadie, Bunny avait évité la fouille et avait ainsi sauvegardé sa flasque de vodka, son sachet de pilules et surtout son Grand Secret de fille.

Rester mystérieuse, intouchable. Ça payait généralement. Certaines fois, ça intriguait même les stars, chanteurs, batteurs, bassistes.

Là, elle poursuivait la décoration de sa petite galaxie intime et personnelle. Des moments rares, lardés dans la défonce bien sûr. Alcool, prods, sexe mais surtout la belle rage sonique et des souvenirs. Fragiles comme de la neige, mais qui pour Bunny étaient juste essentiels.

Faire que chaque matin soit blême et qu’elle ressente, encore une fois, cette morsure vitale. Elle croisa le premier groupe qui revenait de la scène. Des jolis gosses. Datura Nightmares. Des sudistes français signés sur une grosse major allemande. Ils avaient bien assuré en première partie malgré un public un peu rétif à l’électronique. Fallait pas se leurrer, les gens étaient venus pour les mythiques Slicky Bones. Un des piliers du Psycho, reformé depuis à peine 6 mois et qui sillonnait depuis toute l’Europe, dans un vieux van.

Bunny avait toujours eu un faible pour leur chanteur, Rabies. Un mec bien frappé mais sexy comme l’enfer avec son éternelle banane blanche et sa gueule à demi paralysée.

Un homme comme elle.

Le hurleur en chef des Datura Nigthmares passa à côté d’elle, la frôlant et respirant son parfum piquant de toutes ses narines dilatées. Ce n’était pas qu’il était répugnant, malgré sa sueur acide et les relents de vodka qu’il dégageait, mais Bunny venait à peine de se décoller de son roadie-sésame. Alors elle était encore un peu à fleur de chair.

Elle repoussa le petit jeune du bout des ongles. Fermement mais pas méchamment. Le gars tenta de l’étreindre et pour y couper court Bunny lui cloqua un baiser vampirique tout en fouillant dans son sac à main.

Elle effleura juste son Grand Secret pour éprouver l’ancien frisson mais se contenta de récupérer un taz qu’elle lui glissa entre les lèvres.

Un joli cadeau pour ce beau gosse promis au succès.

A.   

Les braillards étaient partis. J’avais enquillé trois bières pendant l’entracte. Les Slicky Bones semblaient avoir des galères de balance. Ou alors, ils jouaient les stars et voulaient faire monter la pression.

C’est vrai que le groupe était censé avoir splitté, des années avant. Rabies était réputé incontrôlable. Il avait saccagé des dizaines de chambres d’hôtel, s’était castagné assez souvent avec la sécu et avait même retourné des centre commerciaux, des bars… Interdit de séjour aux states. Quand même. Un client sérieux.

Pas le genre de mec que je présenterais à ma gamine de 15 ans ni à mon épouse. Et pourtant… Ouais… Je regardais le fond de mon demi, déjà à sec. Putain, j’éclusais, ce soir ! Comme dans le temps. Reprise de mes vieilles habitudes. Mes sales manies. J’avais aussi comme une drôle d’envie qui me piquait le fond de la gorge. L’appel de la nicotine ! Bordel ! Par chance, personne n’osait transgresser ce nouvel interdit. Moins de tentation. Pour un peu, si j’avais eu le gars Evin sous la main, je lui aurais roulé une pelle fraternelle !

J’avais la tête qui me tournait. Déjà ? J’avais moins d’endurance à l’alcool.

La foule ne cessait d’augmenter. Des jeunes, des gars plus âgés, des minettes lookées comme Betty Page ou Avril Lavigne. Des tatouages, des piercings, des dandies, des mecs en capuche. Un mélange hétéroclite mais qui semblait bien en phase. Pas trop d’embrouilles.

Ils venaient pour la légende. Certains s’impatientaient et tapaient des pieds en invoquant le groupe antique. 

Slicky Bones ! Slicky Bones ! Slicky Bones !      

Même-moi, sans vraiment m’en rendre compte, j’avais levé ma bière et je scandais ce nom sacré.

B.

Bunny en tremblait.

Des frissons partout. Presque pire qu’une bombasse de MD ou qu’un de ses orgasmes du petit matin, quand tu te retrouves coincée sous un gars qui est passé en mode mécanique et qui ne sait plus rien faire d’autre que pilonner.

Et cette trouille froide n’était pas due à l’instant historique qu’elle vivait en assistant à ce concert.

Non !

Elle venait de repérer, Antoine. Son ancien mec, là bas. Son premier mec, même. Au bout du comptoir. Merde ! Tonio ! Toine ! Toto le déglingo ! Avec une dégaine de VRP, un bide énorme, une calvitie naissante mais pas assumée, un costard de loquedu… Le seul élément qui semblait immuable était la prise qu’il avait sur son gobelet, le couvrant presque, poignet cassé pour éviter d’en perdre une goutte.

Il semblait ivre et se mit subitement à fendre la foule, jouant des coudes, juste pour se rapprocher un peu des Slicky Bones qui déjà avaient entamé leur premier titre. Madhouse. C’était un de leurs vieux tubes. De quoi exciter un peu plus la horde des fidèles.

La salle s’agita dans un grand pogo, chaotique mais libérateur. Bunny vit Antoine se faire emporter par la masse hurlante. Il en lâcha son gobelet. Une première. Pendant leurs jeunes années, aucun mec n’aurait oser bousculer Tonio ! Mais il avait changé. Beaucoup changé. Presque 20 ans. Bordel, ils auraient dû être morts depuis belle lurette. Si seulement, ils avaient continué sur leur première trajectoire, leur premier mouvement.

Bunny tenta de suivre son ancien mec du regard. Pour cela, elle s’avança sur la scène. La sécu laissa faire. Une belle meuf, un peu âgée mais sexy, tant qu’elle le touchait ni aux amplis ni aux musicos, on la laissait faire.

Des pensées fébriles l’agitait, en dedans.

Pourquoi ce retour ? Maintenant ? Il ne pouvait pas la laisser tranquille, dans ses souvenirs. Ce premier baiser dans la fosse. Ce premier amour ultime qui les avait brûlé… Enfin, elle, plutôt si on s’en référait à la nouvelle dégaine de son vieil amant. Il avait renoncé, lui, bien sûr. Après trois ans de folie, à picoler, baiser, se charger, danser et presque braquer des stations-services, des bars, des banques. Mais au dernier moment, juste avant le grand saut, Toine s’était fait la malle.

Barré avec Lalie. Sa meilleure copine d’alors.

Une trahison express, subite mais qui n’avait durée que quelques semaines. Le temps pour Antoine de sortir de sa vie, en plantant Lalie dans la foulée. Cette dernière était revenue vers Bunny, pour lui présenter des pauvres excuses.

Bunny avait hésité entre un cassage de bouche en règle ou bien… Laisser filer, tout lâcher. Tout et continuer seule, dans le milieu.

Mais ce retour soudain foutait tout par terre. Antoine revenait lui prendre leurs années communes.

Il voulait les effacer. Emporter tout comme un vent brutal.

A.

Je ne savais plus très bien ce qui m’avait pris de foncer comme ça.

L’alcool ou alors la résurgence de cette musique. J’en connaissais les accords par cœur. Je chantais en même temps que le vieux Rabies, accroché à son micro, la gueule comme un galet cassé. Le groupe a ensuite enchaîné sans temps mort sur Sick sick Jack et sur une version ultra violente de Sperm Bag.

Je me suis laissé happer par le pogo ! Je devais être une cible de choix avec mon look de quadra salarié mais je me suis pas si mal débrouillé. Il me restait quelques réflexes vicelards et j’avais ma bedaine pour m’assister. A technique égale, c’est toujours le plus gros qui gagne.

Un jeune punk à la crête blonde l’apprit à ses dépends lorsqu’il voulut me bourrer dans le lard, j’encaissai avant de lui asséner une jolie béquille derrière les cuisses. Il s’écroula.

Sur la scène, Rabies balançait du vrai son rock, âpre et chaud. Sans fioritures ni effets. Guitare, contrebasse, batterie. Avec toujours ce grain presque rockabilly.

Une meuf s’est alors avancée sur la scène. De son âge mais bien foutue. Une groupie en robe blanche et pois rouge, juchée sur des talons hauts, tenant un sac noir à écailles. Elle avait l’air perchée ou perdue.

Un air familier.

Vaguement.

B.   

Elle n’en croyait pas ses yeux !

Antoine l’avait dévisagé, comme un mateur qui examine une marchandise probable puis avait détourné le regard pour se concentrer sur un trio de petites jeunes qui picolaient dans un coin.

C’était plus que vexant, une véritable humiliation !

Il n’était pas venu la provoquer, donc. C’était pire, il l’avait oubliée !

Elle dansa un peu, juste à côté de Rabies  qui, entre deux éructations, lui lançait des œillades vicieuses.

Bunny en profita pour se lâcher et entama des mouvements suggestifs ce qui électrisa un peu plus la fosse. Un jeune à capuche grimpa sur la scène et tenta d’embrasser la MILF incendiaire qui se trémoussait à côté de Rabies. Mais le guitariste, énervé, le dégagea d’un coup d’épaule, avant que l’un des roadies ne se précipitent.

Des envies rouges sang tournaient la tête de Bunny.

Alors elle ouvrit son sac à main et récupéra son Grand Secret.

Elle était certaine qu’Antoine, au moins, n’avait pas oublié ça !

A.

Entre ses mains.

Un P.38 gris perle avec une crosse en nacre sur laquelle j’avais fait graver un crâne, un as de pique et nos deux prénoms en lettres gothiques entremêlées. Tonio + Bunny !

Oui. C’était bien elle.

Elle jouait avec l’arme. Sexy et grotesque. Canon contre ses seins, léchage de la gâchette. La sécu s’était postée en bord de scène. Mais Rabies devait avoir Bunny à la bonne puisqu’il leur demanda de lui foutre la paix. L’antique satyre Psycho arborait en outre une belle trique dans son futal en cuir moulant.

Au bout de quelques minutes, Bunny a commencé à viser la foule.

Même si les jeunes sautaient devant elle, torse poil, pour se placer dans sa mire, je commençais à ne plus me sentir vraiment à mon aise.

Le passé me revenait dans la gueule et me dégrisait.

3 ans de dingueries. Des conneries de gamins. Alcool, soirées et drogues à outrance et puis moi qui avait acheté ce flingue pour notre projet complètement fucked-up, d’errance criminelle.

Je m’étais dégonflé juste avant.

Parti avec une autre fille qui m’aimait bien. Je ne me souvenais même plus de son nom. Je voulais juste me barrer, tirer un trait sur Bunny.

Et voilà que je me retrouvais face à elle, par pur hasard. J’étais juste revenu en Bretagne. Elle n’en n’était jamais partie. Bunny était resté dans le même monde. Le rock, la musique, la défonce pure.

Fallait peut-être que j’aille lui parler.

Oui.

Mais brusquement, elle avait pointé l’arme vers ma figure et demandais aux danseurs frénétiques de dégager le chemin, en leur envoyant des baisers sonores. Les gamins détalèrent, me laissant face à la gueule de mon cadeau.

B+A

Antoine tremblait enfin devant elle, livide et suant. Un tas de graisse dans un costume trop serré.

Elle tenait à nouveau quelque chose.

Antoine.

Plus par la queue mais par le flingue.

Il avait conservé ses beaux yeux noirs et un pli de bouche charmant.

Personne ne l’emportera.

Elle ne savait même plus si l’arme était encore chargée.

Bunny la conservait juste en souvenir et pour calmer certains mecs devenus trop violents ou trop défoncés.

Personne.

Elle ferma les yeux.

Hurla et pressa sur la gâchette.

Encore et encore.

A+B

Il y eu un léger mouvement de foule mais aucune détonation ne vint couvrir le titre des Slicky Bones.

Pas de balles, donc.

Antoine se sentit plus léger.

Maintenant, ils pouvaient se parler.

Après les rappels.    

       

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Commentaires
H
Hello Laurent,<br /> <br /> Tu peux me tel dès que t'as cinq secondes ?<br /> <br /> amitiés<br /> <br /> Guillaume
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